Rien du tout
Un véritable article sur quelque chose qui n’existe pas.
Penser le néant
Essayons un instant d’imaginer le néant. Dès que nous cherchons à le visualiser ou à le penser, nous le remplissons automatiquement d’une absence d'absence. Et c’est là que le piège se tend : même l’idée de ne pas exister crée une forme, un contour, une frontière dans notre esprit. Nous avons déjà introduit du « quelque chose ».
Le rien véritable, lui, se dérobe, c’est l’absence totale, absolue, insaisissable. Il n’est ni l’absence de matière, ni l’absence d’espace, ni l’absence de temps. Il est l'absence de toute chose qui pourrait être pensée, perçue ou ressentie. Et c’est dans cette incapacité à le concevoir, que réside tout son mystère.
Le langage, ce tricheur
Le rien me hante parce que je suis un être de langage, donc condamné à le trahir en le nommant. Mais essayons quand même de parler du Rien, avec tout le respect qu’on ne doit pas à ce qui n’existe pas.
Le langage, c’est notre outil pour faire exister tous nos concepts. Malheureusement, c’est aussi un piège. Il transforme tout ce qu’il touche en chose. Même le rien, une fois nommé, devient quelque chose. C’est plus fort que nous : le langage ne sait pas ne pas dire.
Pire encore : le langage structure la pensée. Il ne se contente pas de traduire ce qu’on pense, il fabrique ce qu’on pense. Ce que nous appelons « rien », c’est une astuce du langage : une illusion pour désigner ce qu’on ne peut ni penser, ni dire. Le rien, au fond, n’a de fonction que comparative : c’est parce que nous pouvons dire « il n’y a rien » que nous pouvons nous émerveiller de ce qu’il y a.
La peur du vide… version existentielle
Le rien ne fait pas que poser problème à notre logique ; il chatouille aussi notre angoisse. Car derrière les jeux de langage et les contorsions conceptuelles, il y a cette petite voix intérieure : « Et s’il n’y avait vraiment rien ? » Rien après la mort, rien avant la naissance, rien entre deux pensées, rien sous les apparences.
Cette peur du rien ne vient pas d’un vide qu’on verrait ou qu’on toucherait. Elle vient du fait que le rien remet en cause ce qu’on pense être essentiel : que les choses durent, qu’on existe, que notre vie a un sens. Le néant, ce n’est pas juste « ce qui n’est pas ». C’est l’idée que tout pourrait ne pas exister. Et ça, pour l'ego, c’est comme enlever le sol sous ses propres pieds.
Alors, pour ne pas y penser, on remplit. On donne du sens, on invente des valeurs, on se lance dans des projets. On meuble le vide comme on meuble une maison vide : pour ne pas entendre l’écho.
Conclusion
En parlant du rien, nous avons parlé de notre incapacité à le faire. Ce que nous appelons le néant est peut-être, en fin de compte, une forme sophistiquée de fiction. En voulant le désigner, on l’invente malgré nous. On le modèle avec nos outils mentaux, comme on a inventé l’idée de « futur » alors qu’on vit tous coincés dans un éternel présent.